Euphoria de pajaros – Résidence de création aux Iles Canaries pour pister les liens entre « le silbo , la langue sifflée canarienne, et les chants des oiseaux.
Depuis 2014, j'explore les liens que l'on peut tisser entre la musique humaine et les paysages sonores naturels dans le duo « In Rut Key » avec David Lara. Mais c'est surtout durant la période du confinement en 2020 que j'ai commencé à m'intéresser plus spécifiquement aux chants des oiseaux. J’habitais alors en Bretagne, dans une maison qui répondait à la définition que donne l’architecte Hundertwasser d'un habitat : un arbre au centre d'un jardin, sur lequel donnaient toutes les fenêtres de la maison. Du sommet de l’arbre s’élançait chaque jour, imperturbablement, le chant d’une grive musicienne qui clamait joyeusement son existence de l’aube au crépuscule. C’était étonnant, enthousiasmant, dérangeant parfois, comme ces enfants qui regorgent d’énergie et finissent par en épuiser leurs parents. L’incarnation même du « courage des oiseaux » que chante Dominique A.

J'avais emporté dans mes valises "Habiter en oiseau" de Vinciane Despret. Cette lecture m’éclairait sur les vies d’oiseaux et donnaient davantage d’acuité à mon écoute, et étendait ma perception. Les chants, en retour, donnaient chair au livre. Je commençais tout juste à ressentir à quel point l'approfondissement de notre rapport à la nature était riche d’enseignements vitaux. La lecture de Tim Morton et du sens qu'il donne à la pensée écologique comme une confrontation à un « étrange étranger », m'a convaincu de travailler sur l'écologie relationnelle, telle qu'il la définit dans son livre. L'invention d'un cadre institutionnel et de modes de vie où les relations entre les êtres sont exemptes de rapports de domination.
Durant l'été 2020 j’ai ainsi créé l’installation sonore « rêve d’oiseau » une installation sonore immersive en forme de tour de Babel aviaire qui donne à entendre un paysage sonore utopique, une projection fictionnelle où des oiseaux provenant du monde entier vivraient ensemble sur un petit territoire commun. Lors de ce travail, j'avais ainsi eu l'occasion d'échanger avec la chercheuse Fanny Rybak, spécialiste des communications animales, sur le sens de cette activité chez les oiseaux.

En 2021, pour prolonger ce travail et m’immerger un peu plus dans l’univers passionnant des chants d’oiseaux et de ses liens avec la musique humaine, j’ai recherché parmi les sons produits par les humains ceux qui étaient les plus proches des vocalises des oiseaux, cette proximité pouvant s’exprimer du point de vue de la sonorité et du timbre, mais aussi de la physiologie ou de l’esthétique (par exemple dans les musiques traditionnelles). J’ai découvert l’existence des langues sifflées. Parmi elles, le silbo gomero, la « langue des oiseaux » pratiquée par les bergers de l’île de la Gomera aux Canaries, m’a tout de suite interpellé du fait de la proximité sonore qui existe entre les sons du silbo gomero et les sonorités des chants des oiseaux.

Durant l'automne 2021, j’ai décidé de partir en résidence sur l’île de la Gomera avec l'objectif de découvrir l'histoire du silbo, de faire des enregistrements de terrain de silbo et d'échanger avec des silbadores (personnes pratiquant le silbo) sur les interactions qu’ils ont pu constater entre le silbo et les chants d’oiseau, en nourrissant le secret espoir - ce serait merveilleux - d’enregistrer un dialogue sonore entre un oiseau et un humain.

En préparant ce voyage, j’ai également fait quelques recherches sur les instruments de musique les plus « primitifs », aux origines de notre pratique musicale. Selon les paléo-musicologues, il s’agirait de flutes sculptées dans des os d’animaux, d’instruments percussifs en pierre, et tout simplement de notre voix. J’ai eu envie d’associer de la flute au silbo et aux chants d’oiseau dans le projet de restitution sonore qui aurait lieu à l'issue de la résidence, et j’ai ainsi proposé à mon ami flutiste Frédéric Poidevin qui vit sur l'île de Tenerife de se joindre au projet.